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Avant-propos
C'est en 1977, après
les élections municipales, que la presse locale fait état
d'une curieuse campagne électorale qui s'était déroulée
à Marly ... en patois et en vers !
Ce n'était,
quant à moi, pas la première fois que je me lançais
dans cet exercice. Mon père m'en avait déjà tracé
le chemin au lendemain de la dernière guerre, en utilisant le même
moyen d'expression.
Mon père!
Les anciens de Bruille-Saint-Amand se souviennent des chansons et poésies
patoisantes, le plus souvent humoristiques, que cet ouvrier autodidacte
écrivait pour eux et qu'il leur présentait avec verve dès
que l'occasion lui en était offerte.
J'en ai
donc « pris de la graine ».
En mars
1965, j'étais candidat sortant sur la liste que menait Oscar Carpentier,
maire de Marly depuis 1935.
Ce fut pour moi l'occasion de m'exprimer sur un tract en patois
adressé à la liste adverse, liste à majorité
de droite mais conduite par Benjamin Poppe, un socialiste pour qui j'avais
et je conserve toujours beaucoup d'estime. Ce poème s'intitulait Camarate
Benjamin, qu'est-c' qué té fais là-d'dins ? Il s'agissait
d'une « mise en boîte» amicale qui obtint un certain succès,
à tel point que le matin même du scrutin des dizaines d'électeurs
m'en réclamèrent un exemplaire, désir que je ne pouvais
satisfaire ce jour-là, la campagne étant close depuis le samedi.
Nous fûmes réélus.
Je remisai
ma plume patoisante d'un jour jusqu'aux élections municipales de
1971 où les circonstances m'inspirèrent "L' loup et l' maguette"
(V. page 01). Le loup, bien entendu, représentait la liste adverse,
le roi
qui gouvernot
déjà avant la guerre étant Oscar Carpentier et ses
colistiers. Bien qu'illustré ce poème n'obtint guère
de succès mais le lion fut encore réélu.
Mes écrits,
jusqu'alors, étaient anonymes ou signés d'un pseudonyme quand,
en 1977, nos concurrents trouvèrent parmi eux Arthur Dhesse qui,
pour la première fois dans notre localité, en réponse
à mon tract intitulé "Dire c' qu'in fait, faire c' qu'in dit",
riposta en patois "Au maire ed Marly" (je l'étais devenu en 1971)
de façon assez virulente, ma foi, mais n'étais-je moi-même
pas virulent ? En voici les deux premiers vers:
Cette
fos, VILLE, tu dépasses la mesure
J'in
ai assez de tes injures
et comportait
en post-scriptum
Mi, j'
n' crains pas ed signer m' nom
J' reste à t'n' intière disposition.
Mais, prévenu
par indiscrétion de l'éventualité d'une réponse
en patois, j'avais préparé à tout hasard "El loup i-est
arvénu !" dont voici les deux premiers quatrains:
In mars
soixante et onze in s' souvient qu'un vieux loup
Etot v'nu à Marly pou printe el trôn' chez nous.
In s' rappell' qu'i s'étot déguisé in maguette
Et qui-avot du s' sauver avec ein' rut' piquette.
EL-LOUP
I-EST ARVENU ! I-a un aut' déguis'mint !
Oui mais, comme i-a six ans, dins tout c' qu'i dit, i mint !
Ch't' ein' biêt' qui n' f igur' pas dins l'Encyclopédique:
C' nouvel animal-là s'appelle « APOLITIQUE ».
Je n'eus plus qu'à
signer et faire distribuer. La campagne électorale étant terminée,
Arthur Dhesse n'eut pas le temps de communiquer un texte qu'il avait pourtant
rédigé de manière mordante! Qu'on en juge:
In, mars
soixante et onze, j'avos juste cinquante ans
J'to déjà à Marly et d'pus passés trente
ans
Tu m'surnommes: loup, merci. C'est eun' bête courageuse
Qui s' défend farouch'mint, quand l'attaque est furieuse.
Quant à vieux, ch'est méchant, t'aros pu trouver mieux
J' té pardonn' et' n'erreur, ti té jeune et fougueux!
etc.
Cette campagne
électorale originale et animée attira l'attention de la presse
écrite et parlée et cette publicité inattendue m'incita
à adresser le 2 avril 1977 mes quelques poèmes à Jean
Dauby, accompagnés de la lettre suivante:
Grâce
à vous, M'sieur Dauby, j'ai arlu Cafougnette
Et j'ai eu vote adress' par el même occasion.
J'ai chi deux-trois « poèm's » qué j'
voudros vous soumette
Pour avoir, su m' façon, vote honnête opinion.
Vous r'marqu'rez
qu' mes écrits sont tertous politiques
Pusqué tertous sortis in momints d'élections.
Sans partager m' point d' vue, j' voudros bin qu' vos critiques
Port'té, bin intindu, putôt su l' f orm' qué
l' fond.
J' sus
d'un niveau moyen: brevet élémentaire.
In Français, mes poèt's ch'est Hugo et Villon
Mais m' langach' préféré, ch'est l' cheu dé
m' père et m' mère,
Mes lectures in patois: Morival et Mouss'ron.
Aussi,
cha m' pèle el vint' quand in vot disparaîte
Des mots qu'in imployot quand in étot garchons:
Un puits, ch'étot un puche, genêts ch'étot guerniettes,
El pie ch'étot l'agache et l' moineau ch'tot l' miss'ron
!
Mais s'
rapp'ler d' ces mots-là, ch'est s' rapp'ler du folklore ;
I-a des choss's qu'in n' dit pus, pasqu'ell's n'exist'té
pus:
In n' cass' pus d' bos su l' blot, du carbon, i-in a core
Mais in n' met pus d' marlett' pour arcoler l' ménu.
Aussi j'
vous armercie des efforts qué vous faites
Pour qué l' patois du Nord i n' tomb' pas dins l'oubli.
Pou vote oeuvre i faudrot qué beaucop d' gins s'y mettent
In attendant, comptez sur el maire ed Marly.
Jean Dauby
fit état de cette lettre à Radio-Valenciennes et m'encouragea.
Je commençai à produire quelques poèmes dont plusieurs
parurent dans des journaux locaux. Mon premier essai extra politique fut
"L' cadaf' tué". Grâce à l'infatigable Edouard Rombeau
j'ai eu l'occasion d'être entendu à plusieurs reprises sur les
ondes.
Au retour
d'une de ces - rares - émissions, j'eus cette révélation:
si Arthur Dhesse, mon adversaire aux élections, ne m'avait pas mis
dans l'obligation de signer mes pamphlets politiques, jamais je n'en aurais
été là ! Je lui envoyai, le 28 août 1978, une
lettre qui était, en quelque sorte, le résumé de ma
petite ascension. Elle se composait de dix-huit quatrains dans lesquels je
lui exprimais ma reconnaissance pour sa participation qui, bien qu'acerbe,
m'avait fait acquérir une petite notoriété. Je concluais
ainsi:
J' sus
loin d'un Mouss'ron, i faut l' dire.
J' rinds à César c' qui-est à César.
Seul'mint, l' satisfaction qu' j'artire,
J'avoue qué j' vous in dos ein' part !
Des poèm's,
j'in ai fait ein' paire
Et, pour effacer nos rancoeurs,
J' vous invoie les cheux qué j' préfère
Tout in vous les dédiant d' bon coeur !
La réponse
me parvint une semaine plus tard, en termes chaleureux commençant
par ceux-ci:
M'sieur
l' Maire, merci pour vos biaux vers
Qui, j' veux bin l' croir', sont très sincères.
Ch'est avec plaisir que j' constate
Qu'on n'est pas v'nu su l' tierr' pour s' batte.
Et, pour
terminer
Comm' deux
brav's infants d'ouverrier
In pins'ra à s' réconcilier
Chacun, in gardant ses idées
L'un comm' l'aute, épris d' liberté.
Cette guerre
épistolaire était finie. J'ai eu l'occasion de rencontrer
Arthur Dhesse.
Devant un bon demi, nous sommes devenus amis : c'est
notre bonne bière
et notre patois du Nord qui nous ont réconciliés!
Aujourd'hui, je tiens à exprimer tous mes chaleureux sentiments
de reconnaissance envers Jean Dauby et Edouard Rombeau dont l'attention
à mon égard m'a incité à publier ce recueil.
Ma conclusion sera cette lettre du 20 octobre 1980, adressée
au premier nommé
LES PATOISANTS DE L'ESPOIR
Tros ans et d'mi
après, j' pins' qué j'ai tnu m' promesse,
Jé m' sus mis au patois et pourtant j'ai un r'gret:
J'aros dû, j'aros pu commincher dins m' jeunesse
Mais j' cros bin qu' j'avos peur qu'in s'foute ed mi, après.
Et ch'est grâce
à toi, Jean, qué j' mé sus fais connaîte,
J'ai pris goût
à l'ouvrache et - j' peux té l' dire ichi -
J' té fros
bin volontiers deux gross's baiss's à pinchette,
Tell'mint qué
j' sus contint quand j'écris in rouchi !
Bref, tu m'as
dérinvié et m' patois caracole,
Mais ch' n'est pas l' tout d'l'écrire, i faut l'arfair' parler,
Faut qu' chà d'vienche el premièr' lanqu' vivante à
l'école,
Chà n'impêch'ra personn' d'apprinte aussi l'Inglais !
Est-c' qu'in comprind
l' breton, quand in va in Bretane ?
Qu'est-c' qu'in artient d' l'argot, quand in monte à Paris ?
L'Alsacien, in Alsace et l' Basqu', dins ses montanes,
Sont heureux, quand i pal'nt, d' vir qu'in n'a rien compris.
Ch'est leu n'identité,
ch'est leus trip's, leu folklore,
Chà vient du fond des temps, ch'est l' marque ed leu terroir.
Alors, pourquoi pas nous ? L' rouchi existe incore !
In est, du plat pays, les patoisants d' l'espoir!
G.V.
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